Le Voyage d'Hiver

Composé à la fin de l’année 1827, Le Voyage d’hiver (Winterreise) est l’une des œuvres les plus bouleversantes de tout le répertoire vocal. Ce cycle de 24 lieder sur des poèmes de Wilhelm Müller marque un sommet dans l’art du lied et, plus largement, dans l’histoire de la musique romantique. Schubert, alors gravement malade, y déploie une introspection musicale d’une intensité rare, qui mêle dépouillement poétique, mélancolie et vertige existentiel.

Loin d’un simple recueil de chansons, Winterreise est un véritable monodrame intérieur, où un voyageur anonyme, rejeté par l’amour, quitte la ville en pleine nuit pour marcher dans la neige, seul avec ses pensées. Chaque lied est une halte, un reflet, un souvenir, une illusion ou un désespoir. La musique, souvent austère, parfois poignante, rarement consolante, suit ce chemin d’errance jusqu’à l’étrange figure du Leiermann, joueur de vielle halluciné et silencieux compagnon final.

La rigueur formelle de Schubert, la sobriété expressive du piano, et la puissance évocatrice de la ligne vocale créent une tension dramatique permanente, sans pathos. Rien n’est laissé au hasard : chaque modulation, chaque silence, chaque inflexion du texte est au service d’un récit intime et universel. C’est cette extrême précision, alliée à une poésie douloureuse, qui donne à Winterreise sa force inépuisable.

Le baryton Simon de Gliniasty, dont la voix sombre et nuancée sert idéalement cette matière tragique, et le pianiste Jacques Dor, interprète sensible et complice, proposent ici une lecture profondément habitée de ce chef-d’œuvre. Le cadre sobre et chargé d’histoire du Château de Courtanvaux se prête à merveille à cette traversée du silence et de l’hiver : un moment suspendu, une marche intérieure à la fois intemporelle et terriblement humaine.